Appel à articles
En France, comme dans tous les pays occidentaux, les politiques publiques assignent aux différents acteurs et institutions de la sphère éducative (entendue de manière extensive comme l’enseignement, y compris supérieur ainsi que la formation continue) le rôle de participer à la lutte contre le chômage voire au redressement économique de la nation.
Les indices de ce mouvement ne manquent pas, entre les politiques adéquationnistes formation-emploi dénoncées depuis longtemps (Lacomblez, 2001 ; Rose, 1998) ou encore la notion contemporaine de « métiers en tension » que mobilise France compétences (Jolly et al., 2023).
Dans ce contexte, les politiques menées en France comme en Europe dans le domaine de la certification sont assez emblématiques. Depuis les années 1990 et surtout 2000 (avec la fameuse loi de modernisation sociales du 17 janvier 2002), l’ensemble des diplômes produits par les ministères ainsi que les autres certifications de branches ou privées, doivent être construites sous la forme de référentiels, visant ainsi à prouver leur « valeur d’usage » sur le marché de l’emploi, c’est-à-dire la capacité à assurer l’employabilité des personnes titulaires de cette certification.
Le référentiel peut en effet être défini comme un « document qui vise à décrire et expliciter par écrit un fait social complexe (métier, poste de travail, diplôme, compétence, formation) pour que les différents acteurs, qui souhaitent agir sur ce fait social, possèdent une référence commune » (Balas, 2012, p. 23). Fruit d’un compromis social normatif (Chauvigné, 2010), cette référence commune est sensée s’appuyer sur le travail réel d’un emploi ciblé en intégrant une vision prospective, ce qui n’est pas toujours le cas (Delay et Valette-Wursthen, 2025).
La notion d’employabilité, quant à elle, renvoie directement à ce que Piot (2009) nomme la « seconde modernité », survenue, au tournant des années 1970, période marquée par l’incertitude et la réflexivité (Para3). Dans ce cadre, chacun est responsable et subit l’injonction de devenir co-auteur de son développement professionnel (para 7) pour s’adapter aux évolutions constantes de l’organisation de travail. On est loin ici d’une vision émancipatrice et réparatrice de la formation continue, d’un droit social acquis de haute lutte à la fin des années 1960 (Jobert, 1993).
Les formations professionnelles, initiales comme continues, sont depuis un quart de siècle, définies à partir d’une conception de la cible professionnelle qu’elles visent, des compétences qu’elles permettent d’attester, du « signal de qualification » (Charraud, 2011) qu’elles constituent. Ce lien causal entre formation et employabilité n’est pas nouveau pour les métiers accessibles avec un faible niveau de qualification.
Cependant, ce questionnement est moins répandu en ce qui concerne les publics hautement diplômés (master, doctorat, ingénieur) ou à visée d’enseignement. Pour autant, se poser cette question pour les diplômes hautement qualifiés est aussi un enjeu sociétal puisque les carrières professionnelles sont désormais nomades. Pour les individus, cela implique de devenir acteur de son employabilité en saisissant les opportunités d’emploi et en développant continûment ses compétences (Bernaud et al., 2021). Pour les concepteurs de référentiels et de formations, introduire la problématique de l’employabilité peut conduire à intégrer la nécessaire adéquation entre les besoins actuels et futurs de la société, nous l’avons dit, mais implique aussi de se questionner, en retour, sur le devenir des apprenants, sur la nature des emplois qui leur seront accessibles, sur les compétences qui leur seront véritablement requises, et cela dans une perspective temporelle de moyen terme (quelques années après l’obtention du diplôme).
Ce projet de numéro thématique de la revue TransFormations vise l’examen du lien entre conception des référentiels de diplômes et les usages qui sont faits de ces artefacts, dans la perspective d’une employabilité des diplômés. Ce lien, pour les hauts niveaux de qualification, est spécifique à double titre : d’une part, les enjeux de professionnalisation sont récents et parfois contradictoires avec la mission originelle de l’enseignement supérieur, d’autre part, l’insertion professionnelle de ces diplômés de master ou de doctorat, de ces ingénieurs… souvent quantitativement satisfaisante, se fait parfois au prix d’un déclassement, en raison d’un déficit de valorisation de leurs compétences.
Dans les articles proposés, il s’agira d’adopter une approche critique des référentiels : questionner leur processus de fabrication, les représentations des métiers des diplômés de haut niveau qu’ils véhiculent, les usages auxquels ils donnent lieu, leurs effets plus ou moins efficients sur le devenir professionnel des acteurs très qualifiés.
Les contributions attendues s’inscrivent dans la ou les thématiques suivantes. Différents angles disciplinaires peuvent être empruntés.
Thématique 1 : Quelles représentations du métier d’enseignant-chercheur dans les référentiels ?
A l’heure où la professionnalisation du chercheur et de l’enseignant-chercheur devient une priorité (cf. Arrêté du 25 mai 2016 et du 22 février 2019 sur le doctorat), où le lien recherche et société est de plus en plus prégnant et marqué par un rapprochement avec les entreprises, la représentation que l’on se fait du chercheur et de l’enseignant-chercheur « employables » (au sein des entreprises comme dans les milieux académiques[1]) mérite d’être questionnée. Si cette question était absente voici quelques années, les visées du diplôme de doctorat, des diplômes de Master méritent aujourd’hui d’être explorées d’autant que les titulaires de ces diplômes ne se voient offrir que de manière exceptionnelle une carrière académique du fait de la forte diminution des postes de chercheurs et enseignants-chercheurs publics.
Ainsi, l’impensé du devenir professionnel des diplômés universitaires de haut-niveau devient, en France comme à l’international, une question importante. L’examen des référentiels (référentiel de compétences de chercheurs ResearchComp, the European competence framework for researchers, 2023 ; référentiels du diplôme de doctorat inscrit au RNCP et des différents Master, des diplômes d’ingénieurs, etc.) peut constituer une base documentaire utile pour éclairer les représentations diverses de cette question.
Thématique 2 : usage des référentiels de diplômes supérieurs pour la conception et la conduite des formations
Les diplômes supérieurs, en France comme à l’international, reposent aujourd’hui sur des référentiels descriptifs des emplois ciblés, et sur l’identification des compétences constitutives dont la possession du diplôme atteste la maîtrise. Bien que souvent affaibli, le lien formation, certification, qualification (Balas, 2020) est cependant maintenu et les acteurs en charge de concevoir et de mettre en œuvre les formations préparatoires à l’obtention de ces diplômes supérieurs, à l’université ou dans différentes institutions, doivent « traduire » les référentiels en dispositif de formation.
Observer de quelle manière se déroule cet acte de traduction, questionner les manières dont ces ingénieurs de formation et ces enseignants, en charge de traduire et de mettre en œuvre ces référentiels de diplômes, s’emparent des représentations implicites ou explicites contenues dans ces référentiels, constitue un deuxième axe de problématisation du rapport entre référentiel et employabilité pour les publics hautement diplômés.
Cette thématique pourra accueillir des exposés de pratiques pédagogiques s’appuyant sur les référentiels ou encore des analyses plus macro.
Thématique 3 : Représentations de l’employabilité dans l’enseignement supérieur et référentiels de diplômes
Dans cette proposition, il s’agira, en repartant de l’histoire de l’implantation puis de la généralisation des référentiels comme constituant des diplômes de l’enseignement supérieur, en lieu et place des programmes de formation (Ulmann et Balas, 2023), de s’interroger sur les enjeux et les effets de cette politique publique. N’y-a-t-il pas, dans cette démarche volontariste, en 2002, d’inclure les diplômes de l’enseignement supérieur de la liste des « certifications professionnelles » inscriptibles au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) (Merle, 2007), une forme d’aveuglement ou de « jusqu’au-boutisme » qui produit, encore aujourd’hui, de grandes difficultés au sein des universités et des établissements d’enseignement supérieur, par exemple pour la mise en œuvre de la validation des acquis de l’expérience – VAE (Deville, 2023) ou encore dans les réenregistrements quinquennaux des diplômes au RNCP ?
N'y-a-t-il pas un hiatus à considérer les diplômes de l’enseignement supérieur comme des « certifications professionnelles » et ainsi d’omettre que l’employabilité n’est pas l’alpha et l’oméga des missions de l’université ?
Thématique 4 : quelles transformations des diplômes du supérieur pour plus de professionnalisation ?
Si l’on peut s’interroger sur les intentions et les représentations des concepteurs de diplômes du supérieur quant à l’employabilité des individus qui en seront les titulaires, il est aussi intéressant de se questionner, à l’inverse, sur les effets de ce « mouvement » historique de professionnalisation des études supérieurs, depuis les années 1980, sur la transformations des diplômes proposés aujourd’hui par l’université et les établissements d'enseignement supérieur.
Quels effets concrets ont ces politiques sur les modalités de mise en œuvre de ces diplômes, quelles évolutions pédagogiques ou didactiques sont repérables dans la mise en œuvre de ces cursus, quelle prise en compte des situations de travail, en particulier dans leurs caractéristiques pédagogiques (Saillot et Piot, 2025), pour penser le contenu de ces formations et l’organisation des modalités d’évaluation (Balas et Touzet, 2024) ?
Pistes bibliographiques
Balas, S. (2012, 3 au 6 juillet). Transmettre un métier ? L’exemple des masseurs-kinésithérapeutes. Biennale internationale : Éducation – Formation – Pratiques professionnelles, CNAM, Paris, http://labiennale.cnam.fr/informations-pratiques-et-inscriptions/programme/atelier-21-mercredi-4-juillet-9h-13h-518965.kjsp#3
Balas, S. (2020). Place des certifications professionnelles contemporaines dans l’orientation tout au long de la vie, dans S. Blanchard, I. Olry-Louis, & I. Soidet (Dir.). L’orientation tout au long de la vie : théories psychologiques et pratiques d’accompagnement (p. 169-184), L’Harmattan.
Balas, S. (2023). Comment suivre les pas de Pierre Caspar en 2023 ? De l’investissement dans les savoirs à la société des compétences… certifiées. Éducation Permanente, 234-235/2023-1/2, 153-162.
Balas, S. et Touzet, V. (2024). La complexité du travail au cœur des référentiels et de l’évaluation. Évaluer. Journal international de recherche en éducation et formation, 10(2), 3-22. https://doi.org/10.48782/e-jiref-10-2-3.
Charraud, A.-M. (2011). Le rôle de la certification dans les processus de professionnalisation, Éducation permanente, 188, septembre 2011, 11-23.
Delay, B. et Valette-Wursthen, A. (2025). Quelle place pour l’analyse du travail dans l’élaboration des référentiels de certification ? De la norme à la pratique, dans T. Berthet et D. Mercier (dir.). Le travail et la société française (p. 87-95), CNRS éditions.
Deville, J. (2023). Utiliser ou contourner les référentiels en Validation des Acquis de l’Expérience à l’université : une pratique incertaine. Formation emploi, 164(4), 65-84. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/10.4000/formationemploi.12153.
Desgagné, S. et Larouche, H. (2010). Quand la collaboration de recherche sert la légitimation d’un savoir d’expérience, Recherches en éducation [En ligne], HS1, http://journals.openedition.org/ree/8684.
Jobert, G. (1993). Éditorial : les formateurs et le travail, chronique d’une relation malheureuse, Éducation Permanente, 116, 1993/3, 7-18.
Jolly, C., Moncel, N. et Ulmann, A.-L. (2023). Nouveaux métiers et certification : l’impossible équation ? Formation emploi, 164(4), 111-127. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/10.4000/formationemploi.12069.
Lacomblez, M. (2001). Analyse du travail et élaboration des programmes de formation professionnelle. Relations industrielles, 563, pp. 543–578.
Le Boterf, G. (2002). Développer la compétence des professionnels. 4e édition, Éditions d'Organisation.
Merle, V. (2007). Genèse de la loi de janvier 2002 sur la validation des acquis de l’expérience. Témoignage d’un acteur. Revue de l’IRES, 55, 2007/3, 43-71.
Musselin, C. (2007). The Transformation of Academic Work. Facts and Analysis University of California Berkeley, Center for Studies in Higher Education, February, Research & Occasional Paper Series, CSHE.4.07. http://files.eric.ed.gov/fulltext/ED502859.pdf
Piot, T. (2009). Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel dans les métiers adressés à autrui ? Questions Vives, 5, 11, 259-275.
Rose, J. (1998). Les jeunes face à l’emploi. Desclée de Brouwer
Saillot, E. et Piot, T. (2025). Analyser les dimensions pédagogiques dans le travail : un défi pour la didactique Professionnelle, Education permanente, 244, 2025/3, 85-95.
Ulmann, A. et Balas, S. (2023). Introduction Les référentiels : du travail aux usages. Formation emploi, 164(4), 7-12. https://doi-org.proxybib-pp.cnam.fr/0.4000/formationemploi.12186.
Calendrier prévisionnel
Mise en ligne de l’appel à contributions : 1er décembre 2025
Réception des propositions d’article (résumé de 1400 mots) : 2 février 2026
Information aux auteurs de l’acceptation ou non de leur proposition d’article : 2 mars 2026
Réception des articles : 4 mai 2026
Retour des expertises et retour aux auteurs : 6 juillet 2026
Réception des articles définitifs : 15 septembre 2026
Dernières lectures et dépôt des articles sur le site de la revue : octobre 2026
Publication du numéro : décembre 2026
Quelle organisation pour les expertises ?
Expertise en double aveugle
Utilisation de la plateforme de la revue pour dépôt des textes, accès à la feuille de style et aux consignes aux auteurs.
[1] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/reperes-pour-l-exercice-du-metier-d-enseignant-chercheur-47766
