Question(s) de transformation en éducation et en formation des adultes
Coordination
Najoua Mohib
Université de Strasbourg
Laboratoire Interuniversitaire de Sciences de l'Éducation et de la Communication (LISEC – EA 2310)
najoua.mohib@unistra.fr
Solveig Fernagu
Université Paris Nanterre
Centre de recherches éducation et formation (CREF – EA 1589)
solveig.oudet@u-paris10.fr
Calendrier des étapes de l’appel
Réception des propositions d’articles sous la forme d’un résumé de 2 pages : 31 mai 2020
Signification aux auteurs que leur projet est retenu : 13 juillet 2020
Réception des articles complets suivant les recommandations de la revue : 30 septembre 2020
Communication des avis des experts : 15 novembre 2020
Réception de l’article définitif : 15 décembre 2020
Publication du numéro : 15 janvier 2021
La transformation est inhérente à toute forme de vie et même de survie. Les exemples ne manquent pas dans les différents milieux vivants (végétal, animal, humain, ...) pour illustrer ce que le Petit Robert définit à la fois en tant que processus (action de [se] transformer) et résultat (changement, modification qui en résulte). Comme toutes les activités humaines, l’éducation, entendue comme un champ de pratiques sociales visant « l’acquisition des différents savoirs, l’accompagnement du développement des individus et des collectifs » (Champy-Remoussenard, 2015), n’échappe évidemment pas à ce mouvement. Cependant, il apparaît, depuis plusieurs décennies, que les actions de transformation des représentations et des pratiques s’intensifient sous l’impulsion des politiques volontaristes (Rege Colet et Romainville, 2006 ; Mons, 2007 ; Martinot et Ferracci, 2014 ; Rey, 2016) et des mutations sociales (Mestel-Cresta et al., 2014 ; Merhan et al., 2015 ; Voirol-Rubido et Hanhart, 2015) qui affecteraient tous les niveaux de l’éducation (macro, meso et micro). L’ensemble des systèmes éducatifs (formation des adultes, enseignement supérieur, école, insertion, travail social, etc.) est aujourd’hui traversé par des discours politico-institutionnels qui appellent à des changements « adaptatifs » pour répondre aux évolutions de l’environnement socio- économique et notamment du marché de l’emploi. La multitude de vocables (ex. « modernisation », « refondation », « rénovation », « réajustement », etc.) utilisés pour légitimer ces appels témoigne de la difficulté du champ de l’éducation à se transformer pour faire face aux nouveaux défis qui s’imposent à lui.
Au-delà des difficultés inhérentes à tout changement souhaité ou souhaitable, il ressort que les transformations initiées par les autorités politiques et éducatives peuvent se lire selon quatre niveaux : opérationnel, structurel, contextuel, symbolique. Au niveau opérationnel, les changements escomptés s’appuient sur une série de réformes, voire de dispositions légales ou réglementaires, dont le rythme s’est accéléré depuis une quinzaine d’années. Depuis 2004, quatre réformes 2 ont été engagées dans le champ de la formation professionnelle et trois lois 3 réformatrices se sont succédées dans l’enseignement supérieur dont la transformation aurait été initiée par le processus de Bologne (Pelletier, 2009 ; Euriat et al. 2009 ; Lameul et Loisy, 2014). Au niveau structurel, les modifications et les ajustementsapportés aux différents systèmes éducatifs concernent essentiellement des aspects de régulation et de pilotage. La fin de l’« État-enseignant » (Mons, 2007), qui s’inscrit dans un mouvement national de « déconcentration/décentralisation » (Méhaut, 2001) entamé dans les années 1980, a conduit à un renouvellement des modalités de gestion (financières, ressources humaines) et d’organisation (gouvernance, encadrement). L’état est devenu un « régulateur des régulations » (Pelletier, 2009) et son rôle dans le pilotage des instances éducatives s’est progressivement réduit notamment en ce qui concerne leur prise en charge financière. Ainsi, l’état assure 57,4% de l’investissement éducatif en 2017 4 contre 69% en 1980 (Pelletier, 2009), alors que le financement de la formation professionnelle continue est principalement garanti par les entreprises (Martinot et Ferracci, 2014). Au niveau contextuel, les changements opérés, en France, dans tous les domaines de l’éducation, relèvent d’une tendance internationale de rapprochement des systèmes éducatifs et productifs. Au-delà de l’influence exercée par les grandes organisations comme l’OCDE (2016), l’UNESCO ou l’Union Européenne (Elliott et al., 2011 ; Ruşitoru, 2018), la transformation des systèmes éducatifs apparaît une préoccupation nationale dans la plupart des pays (Felouzis, 2003 ; Ulukan, 2005 ; Du Preez et al., 2000, Striano, 2009, Lameul et Loisy, 2014 ; Bikse et Lusena-Ezera, 2016). Au niveau symbolique, la volonté politique de transformer l’éducation marquerait la fin d’une conception humaniste héritée du siècle des lumières (Chomsky, 2002) pour faire place à un nouveau paradigme d’inspiration néo-libérale (Forquin, 2004). Plusieurs chercheurs (Charle et Soulié, 2008 ; Laval et al., 2011) dénoncent l’idéologie dominante actuelle et mettent en avant l’opposition de deux modèles souvent jugés incompatibles : le modèle de la « professionnalisation » d’une part, fondé sur des valeurs telles que la réussite, l’excellence et la flexibilité et le modèle de l’« émancipation libératrice » d’autre part, prônant la créativité, la solidarité ou encore l’équité.
Les actions de transformations opérées par les politiques de l’éducation ont fait l’objet d’analyses approfondies tant du point de vue de leurs résultats, souvent considérés comme décevants (Rey, 2016), que de leurs effets sur les acteurs du système (Felouzis, 2003 ; Merhan et al., 2015). L’entrée privilégiée dans la littérature scientifique est généralement celle du changement « à l’école » (Rinaudo et al., 2016) ou « à l’université » (Endrizzi, 2018). Peu de travaux sont centrés sur le champ de la formation des adultes. Or, les transformations culturelles, technologiques ou encore réglementaires à l’œuvre dans ce domaine soulèvent de nombreuses interrogations. Par exemple, dans quelle mesure la valorisation sociale des diplômes modifie-t-elle les rapports des adultes à la formation en même temps qu’elle redéfinit leurs besoins d’apprentissage ? Est-ce que la « culture de l’autonomie et de la responsabilité » (Barbier et Wittorski, 2015) peut expliquer l’évolution du rôle des formateurs vers de nouvelles modalités d’intervention (accompagnement, conseil, éducation thérapeutique, etc.) ? En quoi le recours au numérique réinterroge-t-il les postures pédagogiques des formateurs et leurs conceptions de l’apprentissage et comment l’usage des technologies contribue-t-il à reconfigurer leur activité professionnelle jusqu’à favoriser l’émergence de nouveaux métiers (ex. digital learning manager, community manager, conseiller pédagogique, etc.) ? À quoi la succession des réformes de la formation professionnelle cherche-t-elle ou ne parvient-elle pas à répondre ? En quoi l’objectif d’employabilité visé par les politiques de formation tout au long de la vie conduit-il à repenser les temporalités et les modes de la formation, plus distancielle, plus mixte et plus proche des situations de travail ? Si le champ de la formation des adultes se transforme sous l’effet de mutations internes et externes, quels sont les changements induits au niveau de la recherche en éducation, en ce qui concerne, par exemple, le choix des objets d’étude ou des approches méthodologiques ? Quelles sont également les conséquences sur l’évolution des pratiques professionnelles, managériales et organisationnelles ? Le développement de nouveaux espaces propices à l’apprentissage (co-working, learning-lab, fab-lab, etc.) peut-il être considéré comme un des résultats de cette transformation ?
L’objectif de ce numéro thématique est de faire le point sur les transformations actuelles de, pour et par l’éducation en se focalisant plus particulièrement sur le champ de la formation des adultes. Les textes attendus pourront aborder l’une ou l’autre des questions évoquées plus haut, sous différents angles d’approche (identitaire, organisationnel, pédagogique, etc.), tout en se référant à des secteurs variés (conseil, enseignement, management, santé, social, etc.). Le positionnement de la recherche en éducation, et en sciences de l’éducation en particulier, pour accompagner voire favoriser la transformation des systèmes de formation, pourra être interrogé. Ce numéro vise à accueillir, à travers la pluralité des regards, des contributions théoriques et des recherches empiriques mais aussi des comptes rendus d’expérience argumentés permettant de mieux comprendre et expliquer les évolutions récentes de l’éducation et de la formation des adultes au cœur de nombreux débats.
Notes1 - Ce titre fait écho au numéro thématique « Question(s) de transformation » de la revue Question(s) de management parue en 2018 (vol. 2, n°21).
2 - Loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social ; loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie ; loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale ; loi du 5 septembre 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel.
3 - Loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) ; loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche ; loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.
4 - https://www.education.gouv.fr/157-milliards-d-euros-consacres-l-education-en-2018-67-du-pib-5519
[dernière consultation : 4/01/2019].
Barbier, J.-M. et Wittorski, R. (2015). La formation des adultes, lieu de recompositions ? Revue française de pédagogie, 190(1), 5-14.
Bikse, V. & Lusena-Ezera, I. (2016). The Transformation of Traditional Universities into Entrepreneurial Universities to Ensure Sustainable Higher Education. Journal of Teacher Education for Sustainability, 18(2),75-88.
Champy-Remoussenard, P. (2015). Les transformations des relations entre travail, éducation et formation dans l’organisation sociale contemporaine : questions posées par trois dispositifs analyseurs. Revue française de pédagogie, 190(1), 15-28.
Charle, C. & Soulié, C. (dir.). (2018). Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe. Paris : Éditions Syllepse.
Chomsy, N. (2002). Pour une éducation humaniste. Paris : L’Herne.
Du Preez, P., Simmonds, S. & Verhoef, A.H. (2016). Rethinking and researching transformation in higher education: A meta-study of South African trends. Transformation in Higher Education, 1(1), 1-7.
Elliott, I., Murphy, M., Payeur, A. & Duval, R. (2011). Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation. Change in Higher Education and Globalisation. Bruxelles : De Boeck.
Endrizzi, L. (2018). 1968-2018 : 50 ans de réformes à l’université.
Édubref. Repéré à https://f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/464/files/2018/10/Edubref-octobre- 2018.pdf
Euriat, N., Lhotel, H. & Prairat, E. (dir.). (2009). L’école et ses transformations. Nancy : Presses Universitaires de Nancy.
Felouzis, G. (dir.). (2003). Les mutations actuelles de l’université. Paris : Presses Universitaires de France.
Forquin, J. (2004). L'idée d'éducation permanente et son expression internationale depuis les années 1960. Savoirs, 6(3), 9-44. Lameul, G. & Loisy, C. (dir.). (2014). La pédagogie universitaire à l’heure du numérique. Louvain-la-Neuve : De Boeck. Laval, C., Vergne, F., Clément, P. & Dreux, G. (2011). La nouvelle école capitaliste. Paris : La Découverte. Martinot, B. & Ferracci, M. (2014). Réforme de la formation professionnelle : entre avancées, occasions manquées et pari financier. Note de l’Institut Montaigne. Repéré à https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/Note_Formation_Professionn elle_Institut_Montaigne.pdf
Méhaut, P. (2001). Gouverner les systèmes de formation professionnelle : planification, marché, coordination ? Formation Emploi, 76, 225-234.
Merhan, F., Jorro, A. & De Ketele, J. (2015). Mutations éducatives et engagement professionnel. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
Mestel-Cresta, M., Nordmann, J.-F., Bongrand, Ph, Boré, C. Collinet, S. & Elaouf, M.-L. (dir.). (2014). École et mutation. Reconfigurations, résistances, émergences. Louvain-la-Neuve : De Boeck.
Mons, N. (2007). Les nouvelles politiques éducatives. La France fait-elle les bons choix ? Paris : Presses universitaires de France.
OCDE (2016). Les grandes mutations qui transforment l’éducation. Paris : Éditions OCDE.
Pelletier, G. (2009). La gouvernance en éducation : Régulation et encadrement dans les politiques éducatives. Bruxelles : De Boeck.
Rege Colet, N. & Romainville, M. (2006). La pratique enseignante en mutation à l’université. Bruxelles : De Boeck Université.
Rey-Debove, J. & Rey, A. (2010). Le Petit Robert dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert.
Rey, O. (2016). Le changement c’est comment ? Dossier de veille de l’IFÉ, 107, 1-28.Repéré à http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/107-janvier-2016.pdf
Rinaudo, J.-L. & Tavignot, P. (dir.). (2016). Le changement à l’école. Paris : L’Harmattan.
Ruşitoru, M. (2018). L’Union européenne comme acteur international des politiques éducatives et sa « mallette éducative » : méthode ouverte de coordination, benchmarks, compétences clés et cadre européen des certifications. Phronesis, 7(1), 105-116.
Striano, M. (2009). Managing Educational Transformation in the Globalized World: a deweyan perspective. Educational Theory, 59(4), 379-393.
Ulukan, C. (2005). Transformation of University Organizations: Leadership and Managerial Implications. Turkish Online Journal of Distance Education, 6(4), 75-94.
Voirol-Rubido, I. & Hanhart, S. (2015). Face aux mutations des marchés de l’emploi, quelles politiques de formation ? Revue française de pédagogie, 192(3), 5-10.