Numéro à paraitre en décembre 2025

Il n’est plus rare aujourd’hui de trouver une formation à visée professionnelle, même dans l’enseignement supérieur, qui se revendique d’une forme d’alternance intégrative. Nous retrouvons cette figure pédagogique dans le discours de bon nombre de praticiens et de chercheurs à propos de la formation des enseignants (Vanhulle et al., 2007), des  travailleurs sociaux  (Fourdrignier, 2015), des formateurs (Pentecouteau, 2012), des professionnels de santé (Cabaret, 2016) ou des ingénieurs (Zaid et Lebeaume, 2015). Au-delà des différences de contexte, il n’est pas toujours facile de trouver chez ces auteurs un consensus sur les caractéristiques fondamentales attribuées à cette forme d’alternance. Doit-on considérer l’utilisation du terme « d’alternance intégrative » comme un lieu commun (Meirieu, 2017) du discours actuel de certains acteurs de la formation ?

Si le concept « d’alternance » est apparu au sein du réseau des Maisons Familiales Rurales (MFR) dès les années 1940, son modèle pédagogique inspiré par les principes de l’école nouvelle et des méthodes actives (Chartier, 2003 ; Marois, 2003) a été conceptualisé plus tard. A la fin des années 1970, au moment de cette conceptualisation, plusieurs typologies proposent de désigner les relations établies entre les différents environnements de formation dans le cadre d’une formation par alternance : juxtapositive, associative, copulative (Bourgeon, 1979) ou fausse, approchée, réelle- articulation (Malglaive, 1975). Le terme d’alternance intégrative (Chartier, 1982) a progressivement été repris par différents auteurs (Lerbet, 1993 ; Tilman et Delvaux, 2000). D’ailleurs, Bluteau (2024) a recensé dans une revue de littérature récente près de vingt-deux typologies qui évoquent le terme d’alternance intégrative ou celui d’un syntagme équivalent pour exposer ce qu’est un construit pédagogique en alternance « abouti ». Si ces typologies sont issues souvent de la réflexion de pédagogues, de formateurs d’adultes ou d’enseignants, elles ne se fondent pas toujours sur un travail de recherche empirique explicite. De plus, la plupart ne définissent pas clairement chaque typologie au regard des précédentes formulées dans la littérature scientifique ou professionnelle. A ces premières limites, nous pouvons ajouter celle du raisonnement idéaltypique : l’alternance dite intégrative n’existe pas forcément totalement à « l’état pure » dans le monde éducatif réel. Enfin, nous pouvons légitimement interroger la volonté d’assimiler cette forme éducative ancienne, pensée initialement comme une pédagogie de la découverte (Chartier, 2003), à des intentions contemporaines telles celles de la professionnalisation (Wittorski, 2015) ou des capabilités (Fernagu-Oudet, 2018).

Cette situation explique peut-être ce que certains chercheurs qualifient « d’impensé éducatif » (Maubant, 1997). D’ailleurs, Veillard (2012) démontre, au-delà des construits pédagogiques, la grande dépendance dans la formation en alternance aux opportunités d’apprentissages rencontrées en situation de travail. C’est peut-être pour cette raison que plusieurs auteurs ont apporté des précisions aux principes d’une alternance intégrative avec l’apport des didactiques disciplinaires ou professionnelle (Geay et Sallaberry, 1999; Mayen, 2007; Meirieu, 2014; Veillard, 2019).

Aussi, nous pouvons partir de l’hypothèse générale que les systèmes de formation en alternance sont des dispositifs ensembliers (Barbier, 2009). Ces dispositifs vont mobiliser plusieurs environnements (éducatifs, professionnels, domestiques…) dans lesquels et à l’interface desquels les alternants peuvent vivre un certain nombre d’activités productives plus ou moins prévues qui pourront avoir des vertus plus ou moins constructives (Rabardel et Samurçay, 2006). Cela invite à distinguer plus clairement l’alternance construite et prescrite, de l’alternance vécue (Astier, 2007) et à admettre qu’une alternance puisse être vécue de manière intégrative dans un dispositif d’alternance majoritairement juxtapositif. Ce phénomène est parfois observé dans la reconversion choisie d’adultes à des métiers manuels et formés en Centre de Formation d’Apprentis (Léonard, 2022) ou dans la formation initiale à des métiers « passions » liés à l’art ou au sport (Boudjaoui, 2016).

Puisqu’il existe des décalages possibles entre le dispositif en alternance élaboré par des concepteurs, son appropriation par des opérateurs éducatifs (formateurs, enseignants, tuteurs…) et les usages qu’en feront les apprenants (Boudjaoui et Leclercq, 2014), l’objectif de ce numéro thématique est de réfléchir aux conditions d’une alternance intégrative, notamment dans le contexte actuel de transformation de la formation professionnelle et de l’éducation.

D’après Ardouin (2019), ces évolutions vont prendre quatre directions : la multimodalité, l’approche par « blocs de compétences », l’individualisation des parcours et la formation en situation de travail. Certaines de ces transformations ajoutent des éléments de complexité dans la conception d’une formation en alternance. A titre d’exemple, Bluteau (2022) explique que l’hybridation des dispositifs en alternance (associant mondes académique, professionnel et virtuel) engage à se poser la question sur leurs effets plus ou moins intégratifs, propices à relier les expériences vécues entre les différents environnements. Selon une logique proche, Papadopoulou (2020) développe l’idée d’une distance intégrative. Dans ce sens, nous pouvons nous demander comment les acteurs de formation en alternance s’approprient ces évolutions dans une visée intégrative.

Ardouin, T. (2019). La formation demain, un bien commun. Éducation Permanente, 220-221(3-4), 173-184. https://doi.org/10.3917/edpe.220.0173

Astier, P. (2007). Alternance construite, prescrite, vécue. Education Permanente, 3(172), 61-72.

Barbier, J.-M. (2009). Les dispositifs de formation : diversités et cohérences - outils d’approche. Dans J.-M. Barbier, É. Bourgeois, G. Chapelle et J.-C. Ruano-Borbalan (dir.), Encyclopédie de la formation (p. 223-249). Presses Universitaires de France - PUF.

Bluteau, M. (2022). Hybrider ou permettre de relier ? Phronesis, 11(4), 96-111.

Bluteau, M. (2024). Penser la mise en capacité à relier les situations de l’alternance Le cas des dispositifs de formation hybrides et par alternance à visée intégrative [these de doctorat, Paris, HESAM]. https://theses.fr/2024HESAE019

Boudjaoui, M. (2016). La coopération université-entreprises dans les dispositifs alternés : entre partenariat et effet de reliances. Phronesis, 5(1), 63-75. https://doi.org/10.7202/1037195ar

Boudjaoui, M. et Leclercq, G. (2014). Revisiter le concept de dispositif pour comprendre l’alternance en formation. Éducation et francophonie, 42(1), 22-41. https://doi.org/10.7202/1024563ar

Cabaret, V. (2016). Chapitre 4. Accompagnement, alternance et éthique pragmatique : vers une démarche clinique de formation. Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 27(1-2), 73-90. https://doi.org/10.3917/jib.271.0073

Chartier, D. (1982). Motivation et alternance (1ère). UNMREO Editions universitaires.

Chartier, D. (2003). A l’aube des formations par alternance. Histoire d’une pédagogie associative dans le monde agricole et rural (2nde éd.). L’Harmattan.

Fernagu, S. (2018). Vers une alternance capacitante dans les Écoles de la deuxième chance (E2C). Savoirs, N° 46(1), 47-69. https://doi.org/10.3917/savo.046.0047

Fourdrignier, M. (2015). Alternance intégrative. Dans Dictionnaire pratique du travail social : vol. 2e éd. (p. 19-22). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.rulla.2015.01.0019

Geay, A. (1998). L’école de l’alternance. L’Harmattan.

Geay, A. (1999). Note de synthèse, Actualité de l’alternance. Revue française de pédagogie, 128(1), 107-125. https://doi.org/10.3406/rfp.1999.1079

Geay, A. et Sallaberry, J.-C. (1999). La didactique en alternance ou comment enseigner dans l’alternance? Revue française de pédagogie, 128(1), 7-15. https://doi.org/10.3406/rfp.1999.1069

Léonard, É. (2022). Se reconvertir à un métier manuel par l’alternance : projet professionnel, projet identitaire. Ce que permet le dispositif, ce que dévoile l’approche biographique [these de doctorat, Université de Lille (2022-....)]. https://www.theses.fr/2022ULILH026

Lerbet, G. (1993). Alternance et cognition. Education Permanente, 2(115), 65-78.

Malglaive, G. (1975). La formation alternée des formateurs. Revue française de pédagogie, 30(1), 34-48. https://doi.org/10.3406/rfp.1975.1585

Malglaive, G. (1994). Alternance et compétences. Cahiers pédagogiques, (320), 26-28.

Marois, T. (2003). La pédagogie de l’alternance en maisons familiales rurales. Recherches & éducations, (4). http://journals.openedition.org/rechercheseducations/187

Maubant, P. (1997). L’alternance en formation, un projet à construire (vol. 1-154). L’Harmattan.

Mayen, P. (2007). Passer du principe d’alternance à l’usage de l’expérience en situation de travail comme moyen de formation et de professionnalisation. Dans Alternances en formation (p. 83-100). De Boeck Supérieur. Cairn.info. https://doi.org/10.3917/dbu.merha.2007.01.0083

Meirieu, P. (2014). Alternance. Dans Dictionnaire. https://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/alternance.htm

Meirieu, P. (2017). Pédagogie. Des lieux communs aux concepts clés. ESF. https://www.esf-scienceshumaines.fr/education/218-pedagogie-des-lieux-communs-aux-concepts-cles.html

Papadopoulou, M. (2020). « Distance intégrative » et accompagnement expérientiel, pour une nouvelle ingénierie en FOAD [thèse de doctorat, François Rabelais, Tours]. http://theses.scd.univ-tours.fr/index.php?fichier=2020/104119_PAPADOPOULOU_2020_archivage.pdf

Pentecouteau, H. (2012). L’alternance dans une formation professionnelle universitaire. De l’idéal épistémologique aux contradictions pédagogiques. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 28(1), En ligne. https://doi.org/10.4000/ripes.605

Rabardel, P. et Samurçay, R. (2006). De l’apprentissage par les artefacts à l’apprentissage médiatisé par les instruments. Dans Sujets, activités, environnements (p. 31-60). Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.barbi.2006.01.0031

Tilman, F. et Delvaux, E. (2000). Manuel de formation en alternance - Francis Tilman , Etienne Delvaux - Librairie Eyrolles. Chronique Sociale.

Vanhulle, S., Merhan, F. et Ronveaux, C. (2007). Introduction. Du principe d’alternance aux alternances en formation des adultes et des enseignants : un état de la question. Dans Alternances en formation (p. 7-45). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.merha.2007.01.0007

Veillard, L. (2012). Construire des curriculums d’apprentissage en situation de travail. Quelle collaboration didactique entre écoles et entreprises dans les formations en alternance ? Éducation et didactique, (6-1), 47-68. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1294

Veillard, L. (2019). Réduire ou exploiter les ruptures entre les modes d’apprentissage dans les formations en alternance. Dans S. Zaouani-Denoux et É. Mazalon (dir.), La formation en alternance, Diversité des dispositifs, perspectives des usagers et complexité des approches (p. 197-211). L’Harmattan.

Wittorski, R. (2015). Quelques réflexions à propos d’une formation par alternance « intégrative » et « professionnalisante ». Trabalho & Educação, 24(3), 63-82.

Zaid, A. et Lebeaume, J. (2015). La formation d’ingénieurs en alternance - rythmes et temporalités vécues. Presses Universitaires du Septentrion. 10.4000/books.septentrion.18941