Abstract
La théorie du "handicap socioculturel" élaborée par P. Bourdieu visait à rendre compte des phénomènes de reproduction sociale grâce à des critères économiques et culturels, prédictifs de la réussite ou de l'échec d'individus issus de groupes sociaux ainsi catégorisés ; elle s'est enrichie ensuite de critères linguistiques (les codes "élaboré" et "restreint" de B. Berstein, 1980), et enfin des critère cognitifs (B. Lahire, 1993). Leur ensemble devrait permettre d'identifier une population sensible. Les illettrés en occupent le coeur. Ces thèses ont été vérifiées avec les méthodes qui les ont construites. Mais des cas individuels les démentent. Nos recherches proposent un renversement méthodologique et disciplinaire : adoptant une approche ethnologique, nous étudions les réussites d'individus qui appartiennent à ce groupe, ainsi que leur contexte. Nous visons ainsi à dresser le répertoire des stratégies mises en oeuvre pour résoudre les problèmes importants de la vie quotidienne. Ces personnes développent à l’occasion, par des ruses parfois raffinées, des compétences réflexives inattendues par le modèle prédominant. La théorie que nous espérons fonder sur ce répertoire devrait permettre de faire saillir des régularités et des complémentarités consistantes. On s'apercevra alors sans doute que les êtres tenus pour des vaincus, eux qui grossissent les rangs de la "misère du monde", sont en fait les frères de ceux qui réussissent. (...)
